Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/545

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cela est, où est l’affection ? où est la resolution qui le vous a fait faire ? Voulez-vous que je croye que vous en avez moins à ceste heure que vous n’aviez en ce temps là ? Ah ! berger, consentez plustost à la diminution de ma vie qu’à celle de la bonne volonté que vous m’avez promise. Et comme jusques icy, j’ay peu sur vous tout ce que j’ay voulu, que de mesme à l’advenir il n’y ait rien qui m’en puisse amoindrir le pouvoir.

Ergaste ouyt que Celion luy respondit : Est-il possible, Bellinde, que vous puissiez entrer en doute de mon affection et du pouvoir que vous avez sur moy ? Pouvez-vous avoir une si grande mescognoissance, et le Ciel peut-il estre tant injuste que vous ayez peu oublier les tesmoignages que je vous en ay donnez et qu’il ait permis que je survive à la bonne opinion que vous devez avoir de moy ? Vous, Bellinde, vous pouvez mettre en doute ce que jamais une seule de mes actions ny de vos commandemens n’a laissé douteux ! Au moins, avant que prendre une si desavantageuse opinion contre moy, demandez à Amaranthe ce qu’elle en croit, demandez au respect qui m’a fait taire, demandez à Bellinde mesme, si elle a jamais imaginé rien de si difficile que mon affection n’ait surmonté. Mais à ceste heure que je vous voy toute à un autre et que pour la fin de mon amour desastrée, il faut que vous laissant entre les bras d’un plus heureux que moy, je m’esloigne et me bannisse à jamais de vous, helas ! pouvez-vous dire que ce soit deffaut d’affection ou de volonté de vous obeyr si je ressens une peine plus cruelle que celle de la mort ? Quoy ? Bergere, vous croyez que je vous aime, si sans mourir je vous sçay toute à un autre ? Vous dittes que ce sera l’amour et le courage qui me rendront insensible à ce desastre et toutesfois en verité ne sera-ce pas plustost n’avoir ny amour ny courage, que de le souffrir sans desespoir ? O bergere !