Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/57

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Madame, vous avez deux influences bien contraires. L’une la plus infortunée qui soit sus le ciel, l’autre la plus heureuse que l’on puisse desirer, et il depend de votre election de prendre celle que vous voudrez. Et afin que vous ne vous y trompiez, sachez que vous estes et serez servie de plusieurs grands chavaliers, dont les vertus et les merites peuvent bien diversement vous esmouvoir ; mais si vous mesurez vostre affection, ou à leurs merites, ou au jugement que vous ferez de leur amour, et non meritez, ou non point de ce que je vous en diray de la part des grands dieux, je vous predis, que vous serez la plus misérable qui vive. Et afin que vous ne soyez deceue en vostre election, ressouvenez-vous qu'un tel jour vous verrez à Marcilly un chevalier vestu de telle couleur, qui recherche, ou recherchera de vous espousser ; car si vous le permettez, dès icy je plains vostre malheur et ne puis assez vous menacer des incroyables desastres qui vous attendent, et par ainsi je vous conseille de fuir tel homme, que vous devez plustost appeller vostre mal-heur, que vostre amant. Et au contraire regardez bien le lieu qui est representé dans ce miroir, afin que vous le sçachiez retrouver le long des rives de Lignon ; car un tel jour, à telle heure, vous y rencontrerez un homme, en l’amitié duquel le Ciel a mis toute vostre felicité. Si vous faites en sorte qu’il vous ayme, ne croyez point les dieux veritables, si vous pouvez souhaiter plus de contentement que vous en aurez, mais prenez garde que le premier de vous deux qui verra l’autre, sera celuy qui aimera le premier. Vous semble-t-il que ce ne soit pas me parler fort clairement, et mesme que des-ja je ressens veritables les predictions qu’il m’a faictes ; car ayant veu ce berger la premiere, il ne faut point que j’en mente, il me semble recognoistre