Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/71

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parler que je sorte des bois, ny de nos pasturages, autrement le voeu solennel que nos peres ont fait aux dieux, nous accuseroit envers eux, d’être indignes enfans de tels peres. – Et quel est ce serment ? respondit la nymphe. – L’histoire, repliqua Celadon, en seroit trop longue, si mesme il me faloit redire le sujet, que mon père Alcippe a eu de le continuer. Tant y a, Madame, qu’il y a plusieurs années, que d’un accord general, tous ceux qui estoient le long des rives de Loire, de Lignon, de Furan, d’Argent, et de toutes ces autres rivieres, apres avoir bien recogneu les incommoditez que l’ambition d’un peuple nommé Romain, faisoit ressentir à leurs voisins pour le desir de dominer, s’assemblerent dans ceste grande plaine, qui est autour de Mont-verdun, et là d’un mutuel consentement, jurerent tous de fuir à jamais toute sorte d’ambition, puis qu’elle seule estoit cause de tant de peines, et de vivre, eux et les leurs, avec le paisible habit de bergers. Et depuis a esté marqué (tant les Dieux ont eu aggreable ce voeu) que nul de ceux qui l’ont faict, ou de leurs successeurs, n’a eu que travaux et peines incroyables, s’il ne l’a observé, et entre tous, mon pere en est l’exemple le plus remarquable et le plus nouveau ; de sorte qu’ayant cogneu que la volonté du Ciel estoit de nous retenir en repos ce que nous avons à vivre, nous avons de nouveau ratifié ce voeu, avec tant de serments, que celuy qui le romproit seroit trop detestable. – Vrayement, respondit la nymphe, je suis tres-aise d’ouyr ce que vous me dites, et n’ay encore peu sçavoir, pourquoy tant de bonnes et anciennes familles, comme j’oyois dire qu’il y en avoit entre vous, s’amusoent hors des villes, à passer leur aage entre les bois, et les