Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/93

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elles estoient et belles, et remplies de beaucoup de jugement. Toutesfois en l’estat où il se trouvoit, cela ne fut assez pour luy empescher de se désirer seul ; et par ce qu’il prévoyoit bien que ce ne pouvoit estre que par le moyen de la nuit qui les contraindroit de se retirer, il la souhaitoit à toute heure. Mais lors qu’il se croyoit tout seul, il se trouva le mieux accompagné, car, la nuict estant venue, et ces nymphes retirées en leurs chambres, ses pensers luy vindrent tenir compagnie, avec de si cruels ressouvenirs, qu’ils luy firent bien autant ressentir leur abord qu’il l’avoit desiré. Quels desespoirs alors ne se presenterent point à luy ? nul, de tous ceux que l’amour peut produire, voire l’amour le plus desesperé ; car si à l’injuste sentence de sa maistresse il opposait son innocence, soudain l’execution de cest arrest luy revenoit devant les yeux. Et comme d’un penser on tombe en un autre, il rencontra de fortune avec la main le ruban où estoit la bague d’Astrée, qu’il s’estoit mis au bras. O que de mortelles memoires luy remit-il en l’esprit ! Il se representa tous les courroux qu’en cet instant là elle avoit peints au visage, toutes les cruautez que son ame faisoit paroistre et par ses paroles, et par ses actions, et tous les dedains avec lesquels elle avoit proferé les ordonnances de son bannissement. S’estant quelque peu arresté sur ce dernier malheur, il s’alla ressouvenir du changement de sa fortune, combien il s’estoit veuu heureux, combien elle l’avoit favorisé, et combien tel heur avoit continué. De là il vint à ce qu’elle avoit desdaigné d’honnestes bergers, combien elle avoit peu estimé la volonté de son pere, le courroux de sa mere, et les difficultez qui s’opposoient à leur amitié. Puis il s’alloit representant combien les fortunes d’amour estoient peu asseurées, aussi