Page:Urfé - L’Astrée, Quatrième partie, 1632.djvu/103

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nourris bassement, que non pas à nous qui avons accoustumé, je ne sçay quoy de plus relevé et de plus noble. Et pour dire la verité, je croy qu’avec le temps cette vie me seroit insupportable, et que s’il m’y falloit demeurer guiere davantage, je romprois et la houlette, et la panetiere. – Je ne sçay, reprenoit Circene, ce que vous y trouvez de si mauvais, mais il me semble que nous n’avons rien dans les villes, qui égale la franchise et la liberté de ces villages. – Mais en fin, dit Florice, vous ne voyez icy que des brebis et des chévres, des bergers et des bergeres. – Et ne dites-vous point, respondit Circene, quels bergers, et quelles bergeres ce sont? Trouvez-moy dans toute la multitude de nostre ville un esprit comme celuy de Silvandre, et une fille qui égale Astreé, ou Diane, ou Phillis en beauté, en discretion, et en sagesse? Je ne parle point de tant d’autres, desquelles j’admire la civilité et la douce conservation, autant que je hay les contraintes, et les dissimulations des villes.

– Je voy bien, adjousta Florice, qu’il vous est advenu comme [57/58] à ces sorciers, qui ayans fait quelques charmes sur la peau d’un loup, ne se la mettant pas plustost dessus, qu’ils en prennent à mesme temps le naturel; car cet habit de bergere que vous portez, vous a rendu l’esprit et le courage de vraye bergere. Or bien, Circene, vous demeurez bergere tant qu’il vous plaira, mais quant à moy, je desire revoir celles de ma condition, et parmy lesquelles je suis née; car pour dire la verité, je me plais davantage de voir un chevalier