Page:Urfé - L’Astrée, Quatrième partie, 1632.djvu/136

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que ce que bien souvent nous estimons beau nous semble laid, selon que l’opinion nous le commande. Quand un chien a le nez bien camus, la bouche fendue extraordinairement, les oreilles bien avalées, et les babines pendantes et plissées à grosses rides, ne dit-on pas qu’il est fort beau? – Tu aurois quelque raison, repliqua Corilas, en sousriant, si la beauté d’une femme et celle d’un chien estoient une mesme chose. – Non, non, dit Hylas, cette excuse n’est point recevable, et si tu estois aussi sçavant que ton maistre Silvandre, je te demanderois s’il y a une Idée de la beauté. Et je m’assure qu’il ne me le nieroit pas, et qu’il diroit avec moy, que plus les choses belles s’en approchent, et plus elles doivent aussi estre estimées et belles et parfaites; mais avec toy, mon amy, qui ne voles pas si haut, il faut que je te donne des demonstrations plus aisées et plus sensibles. Tu penses donc m’avoir bien respondu quand tu as dit, que la beauté des femmes et des chiens n’est pas semblable, mais que m’allegueras-tu, quand te montreray que ce qu’aux femmes, l’on estime beauté, en elles-mesmes est estimé le contraire? Les Gaulois disent que les plus blanches, voire mesmes quand cette blancheur est telle qu’elle s’approche de la pasleur, sont les plus noires, voire qui reluisent de noirceur; les Transalpins ayment et louent davantage celles qui sont hautes en couleur. Ceux-là mesmes estiment les