Page:Urfé - L’Astrée, Quatrième partie, 1632.djvu/144

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

attendoit la réponce d’Astrée, comme on fait l’arrest de la vie ou de la mort. La bergere d’autre costé, ou plustost la nouvelle druide, se troubla un peu de cette demande, comme estant bien en peine de ce qu’elle avoit à respondre. En fin, apres avoir esté muette quelque temps, elle luy répondit avec un grand souspir: Ah! ma maistresse, que vous me commandez de vous dire une chose qui m’a cousté de larmes infinies, et de laquelle le souvenir ne peut revenir dans mon ame, sans estre accompagné de tant de douleurs que je fremis toute, me voyant forcée par vostre commandement de le r’appeller en ma memoire! Mais le vœu que j’ay fait de ne vous refuser chose que vous veuilliez de moy, ne me permet pas, à quelque prix que ce soit, de le vous desnier. Sçachez donc, ma maistresse, que le berger que j’ay aymé se nomma Celadon, et que l’inimitié de nos familles ne put empescher entre nous cette bonne volonté; mais lors que nous pouvions esperer une heureuse conclusion de nostre amitié, la mort le ravit d’entre les hommes, et voulut que je fusse veufve devant qu’estre manee. Voylà en peu de mots ce que j’ay payé avec tant de pleurs, et pardonnez-moy, ma maistresse, je vous supplie, si je ne vous le raconte plus au long, car outre que je le crois inutile et hors de saison, encore devez-vous avoir pitié de vostre serviteur, et ne luy point commander de se renouveller sans sujet une playe qui ne guerira jamais, et qui est la plus sensible qu’une personne puisse recevoir.