Page:Urfé - L’Astrée, Quatrième partie, 1632.djvu/156

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qu’elle est meslée avec le corps, elle peut estre veue par nos yeux, et comme telle ils en peuvent faire leur rapport à l’entendement, qui apres en donne le jugement que tu appelles opinion. Or, si tu veux te remettre de nostre dispute aux voix de cette compagnie, je m’assure qu’il n’y en aura guiere qui soient de ton costé, et cela, d’autant que, tout ainsi qu’il y a plus ordinairement de personnes saines que de malades, de mesme aussi des choses qui tumbent sous les sens, il y en a tousjours plus qui en jugent sainement, autrement il faudroit croire que la nature failliroit plus souvent en ses ouvrages, qu’elle ne les accompliroit selon ses reigles, qui seroit un blaspheme, et contre elle et contre le Dieu de la nature.

Silvandre vouloit continuer ayant un champ assez ample pour n’avoir pas de long-temps faute de discours, si Hylas qui ne pouvoit avoir une si longue patience ne l’eust interrompu, luy disant: Je sçay bien, Silvandre, que l’année sera fort sterile, quand tu [89/90] nous feras cherté de tes paroles; mais respons moy et me dis, si la beauté n’est une pure opinion, d’où vient que l’un ayme l’œil vert, et l’autre l’œil noir, l’un la blanche, et l’autre la claire brune, et ne faut pas que tu te sauves en me respondant que cela procede de l’ignorance, car nous voyons, comme je le disois devant que tu sois arrivé, que ce sont des provinces entieres qui font ce jugement. – Ce que tu me demandes, Hylas, respondit Silvandre, n’est pas difficile à resoudre: les Gaulois