Page:Urfé - L’Astrée, Quatrième partie, 1632.djvu/166

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pleurs, qu’elle n’avoit par force ouvert le passage. Et par ce que la modestie de cette bergere, et la façon de vivre qu’elle avoit tousjours continuée ne luy pouvoient permettre de donner cognoissance à personne de cette passion, elle s’arresta à dix ou douze pas de ses compagnes, et se tournant du costé d’où elle venoit, faisoit semblant de ne se guiere soucier de cet accident. Au contraire, Astrée, Alexis et Phillis, pleines de compassion, estoient toutes empeschées autour de luy: l’une luy levoit le bras, l’autre le teste, l’autre luy mettoit la main à l’endroit du cœur, mais ne luy remarquant aucun signe de vie, elles ne faisoient que se dire l’une à l’autre qu’il estoit mort. Ces paroles qui venoient jusques aux oreilles de Diane n’estoient que des glaives cruels qui perçoient de nouvelle douleur le cœur de la bergere. Cela fut cause, qu’apres [95/96] s’estre bien essuyé les yeux, et se faisant un tres grand effort, elle s’approcha de Phillis, et luy dit à l’oreille: Je vous supplie, ma sœur, cherchez à son bras le brasselet que vous sçavez, afin que quand on le despouillera, quelqu’un ne le trouve. A ce mot, elle s’en alla, tellement outrée de douleur, que pour peu qu’elle eust parlé davantage, il luy eust esté impossible de ne descouvrir tout ouvertement l’affection qu’elle portoit à ce berger.

Phillis, pour satisfaire à la volonté de sa compagne, et mesme jugeant bien qu’elle avoit raison