Page:Urfé - L’Astrée, Quatrième partie, 1632.djvu/194

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tombe sur quelque autre que sur moy. Et toutesfois, pour revenir à ce que nous disions, soyez certain, Silvandre, que si l’on ne pleure que d’amour, jamais homme ne pleurera; car jamais homme n’a sceu ny ne sçaura aymer. – Cette opinion, reprit incontinent Silvandre, est bien pire que la premiere; et pour ne vous y laisser long-temps, si vous me le permettez, ce sera la premiere dont je vous esclairciray. – J’ay peur, respondit Dorinde, que vous ne travailliez en vain, parce que j’ay une grande experience de ce que je dis, contre laquelle il n’y a gueres de raisons, pour bien desguisées qu’elles soient, qui puissent faire grand effet en moy. – Peut-estre, adjousta Silvandre, quand nous vous aurons payée de raison, et que nous aurons satisfait à vos experiences, vous sortirez de l’erreur où vous estes.

Et d’autant que preoccupée de cette opinion, elle vouloit changer de discours, ses compagnes la forcerent presque d’ouyr ce que Silvandre luy vouloit dire. Et lors le berger reprit ainsi la parole:

Ceux qui m’ont enseigné dans les escoles des Massiliens, entre les autres preceptes qu’ils m’ont donnez, l’un des premiers a esté de ne disputer jamais contre ceux qui nient les principes. Dites moy donc, belle Bergere, si vous croyez qu’en l’univers il y ait quelque chose qui se nomme amour? – Je pense, dit-elle, qu’il y a une passion qui se nomme comme vous dites, de laquelle toutefois les hommes ne sont point capables. – Nous rechercherons, respondit froidement Silvandre, la verité de cecy;