Page:Urfé - L’Astrée, Quatrième partie, 1632.djvu/193

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ny pere, ny mere, ny mesme la terre où l’on a respiré le premier air, n’avoir aucun bien de fortune que celuy de la vie et de la santé, et le fondement de toutes mes esperances n’estre posé qu’en mon industrie, ne jugez-vous point que ce soient des pensées assez puissantes pour tirer des larmes du cœlig;ur de celuy qui se trouve en un estat si miserable? – Je disois bien, reprit incontinant Dorinde, que ce n’estoient pas des larmes d’amour, quoy que mes compagnes me voulussent asseurer le contraire.

Silvandre alors tournant les yeux vers elle, et ne la cognoissant pas, mais la voyant fort-belle, et encore plus agreable: Et quoy, belle estrangere, luy dit-il, sçavez-vous bien discerner les larmes [111/112] d’amour d’avec les autres? – Il faudroit, respondit Dorinde, devant que me faire cette demande, me dire, ô Silvandre, s’il y a des larmes d’amour? – Mais au contraire, reprit le berger, s’il y en a point d’autre que d’amour? – Vous croyez donc, adjousta Dorinde, qu’on ne pleure jamais que d’amour? – Je ne le croy pas seulement, dit-il, mais je m’asseure que vous-mesme l’avouerez lors que je vous l’auray fait entendre. – Cela, dit-elle, ne feray-je jamais et pour le moins suis-je tres-asseurée, si l’on ne pleure que d’amour, que Dorinde ne pleurera jamais. – Vostre beauté et vostre aage, respondit le berger, ne vous exempteront pas fort aisément de ce tribut, si ce n’est qu’Amour se contente de faire seulement pleurer ceux qui vous aymeront. – S’il faut, repliqua-t’elle, que quelqu’un pleure, j’ayme bien mieux que le sort