Page:Urfé - L’Astrée, Quatrième partie, 1632.djvu/65

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Mais ce qui le tenoit encores en une grande doute, c’estoit qu’il jugeoit bien que, s’il ne mettoit un rude mors à sa passion, il couroit fortune quelle ne le portast quelquefois [34/35] plus outre qu’il n’estoit pas necessaire pour demeurer dans les limites de son deguisement. Et cette pensée avoit esté bien souvent cause que, dans ses plus grandes felicitez, il n’avoit osé donner congé à son ame de jouir d’un entier contentement. Car combien de fois avoit-il commandé à sa bouche et à ses mains, de ne se point licentier outre mesure, encore que, comme fille, il luy pust bien estre permis, lors qu’il estoit seul avec sa bergere, de peur qu’elle ne recognust que la bouche, et les mains de Celadon estoient empruntées par cette trop licentieuse druide! Et combien de fois avoit-il destourné ses yeux des beautez qui luy souloient estre cachées, et desquelles alors, sous le nom d’Alexis, la veue luy pouvoit estre permise, de crainte que cette curiosité ne fist soupçonner ce qu’avec tant de soing il essayoit de cacher le plus.

Apres que toutes ces considerations eurent longuement roulé dans son esprit, et que plus il y pensoit, et plus il luy sembloit y remarquer une hydre renaissante de diverses difficultez, le meilleur conseil qu’il sceut eslire, fut la resolution de demeurer en ce lieu le moins qu’il pourroit, cognoissant assez que c’estoit un dessein impossible d’y penser demeurer long-temps, et n’y estre point recognu, la foiblesse humaine ne permettant pas qu’un homme pust longuement user d’une