Page:Urfé - L’Astrée, Quatrième partie, 1632.djvu/77

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ay autresfois aymé une fille, et lors, j’eusse juré qu’il estoit impossible à tous les humains d’egaler cette amitié; mais maintenant, quand je la compare à celle que j’ay conceue pour vous, j’ay honte de l’erreur où je vivois alors, la trouvant si petite, qu’au prix de celle-cy, elle n’est presque pas sensible. Et vous, au contraire, qui n’avez encor rien aymé, vous pouvez aisément estre persuadée que cette affection est tres-grande, encore qu’elle ne le soit pas, d’autant que jusques icy vous n’en avez jamais esprouvé d’autre qui, par sa comparaison, vous en puisse faire donner un bon jugement.

– Madame, dit la bergere, cette dispute que je vois entre nous, est de celles où la victoire apporte du dommage, et que d’estre vaincu c’est estre victorieux. Et toutesfois si ne veux-je point quitter les armes si aysément, non pas que je ne vous veuille ceder en tout ce qu’il vous plaira, mais parce que ce seroit un grand defaut en moy si, estant de si loin devancée de vous en merite, je permettois encore de l’estre en affection. C’est pourquoy vous trouverez bon, madame, que je die que si par la comparaison on peut juger de la grandeur d’une amitié, je dois bien avoir cette permission. Moy, dis-je, qui ay commencé d’aymer presque dés le berceau, et qui ay continué depuis avec tant d’opiniastreté, que ny les difficultez, ny le temps, ny les absences, ny les commandemens de ceux qui pouvoient disposer de moy, ny bref, chose quelconque, ne m’en ont pu divertir, que la seule mort.