Page:Urfé - L’Astrée, Quatrième partie, 1632.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Et toutesfois je jure, et je le jure avec verité, que je vous ayme beaucoup plus que tout ce que j’ay aymé jusques icy. Et quoy que cette parole soit trop glorieuse dans la bouche d’une bergere, ayez agreable que je la prononce, puis que les autres qui ont plus de respect, ont aussi, ce me semble, moins d’affection et d’amour. A ce mot, Alexis, avec un visage riant, ouvrant les bras, et Astrée en faisant de mesme, elles s’embrasserent avec un temoignage de si bonne volonté qu’il ne falloit, pour le contentement de toutes deux, sinon qu’Alexis osast dire: Je suis Celadon. Mais en fin la crainte qui accompagnoit toujours la druide, ne luy laissant pas gouster sans quelque amertume la douceur de ces caresses, elle eut peur que cette trop grande felicité ne la transportast de telle sorte, que la bergere ne vint à recognoistre ce qu’elle estoit. Et cela fut cause que se retirant un peu avec une honneste [42/43] rougeur qui luy vint au visage, et apres s’estre teue quelque temps, elle profera ces paroles, mais avec une pudeur si bien representée que, si quelqu’une de ses actions avoit pu donner quelque doute de ce qu’elle vouloit cacher, elle estoit suffisante de la tenir eternellement en cette tromperie: Mais, belle bergere, luy dit-elle, qu’est-ce que la violence de l’affection que je vous porte, ne vous fera point juger de moy, si de fortune la vostre ne la vous fait excuser? Et en disant ce mot, elle mit la main sur son visage, comme le cachant de honte. Et toutesfois, continua-t’elle, je vous jureray par la