Page:Urfé - L’Astrée, Quatrième partie, 1632.djvu/96

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bien de l’estime que chacun faisoit de la beauté et de la vertu de Delphire, comme aussi du merite de Taumantes, et si n’estoit pas du tout ignorante de l’amitié qui estoit entr’eux, parce qu’estants des principaux de leurs hameaux, et n’ayants pas beaucoup de soucy de cacher leur affection, chacun la publioit assez. Voyant donc maintenant un tel divorce entr’eux, elle ne pouvoit assez s’en estonner, toutesfois elle perdoit aussi-tost cet estonnement qu’elle se remettoit devant les yeux l’occasion qu’elle avoit de se plaindre de Silvandre. Mais quand elle ouyt l’oracle, elle cognut bien que c’estoit elle assurement que le dieu leur avoit esleu pour juge, dont elle ne receut pas un petit desplaisir, car la mauvaise humeur en laquelle elle estoit, luy faisoit desirer de fuyr les compagnies, et mesme celles avec lesquelles il falloit qu’elle se contraignist. Ainsi se voyant forcée de demeurer presque tout le matin à ouyr leurs differens, encore que ce fust bien à contre-cœur, elle se resolut d’obeyr au dieu qui le luy commandoit; mais aussi pour compatir un peu à la peine qui l’affligeoit, elle fit bien dessein de se declarer, et recevoir la charge d’estre leur juge, mais d’en remettre le jugement au lendemain, esperant [53/54] qu’en ce temps-là elle auroit vaincu sa passion, et auroit mis son esprit en quelque repos. En cette resolution, relevant tout à coup la voix: N’en soyez plus en peine, dit-elle, o Delphire, et vous Taumantes, voicy le juge