Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/106

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que vous ayez eu le soin de mon enfance, la peine de m’eslever, et les travaux de la conversation de mes trouppeaux et pasturages ? qu’ay-je affaire que vous m’ayez chery, que vous m’ayez fait soigneusement instruire, que vous m’ayez esleu pour vostre fils et successeur, et bref, que pour me rendre la vie que l’amour estoit prest de me ravir, vous vous soyez privé de la plus chere chose que vous peussiez avoir, et me l’ayez donnée, si la reprenent à ceste heure, vous me preparez une mort mille fois plus desesperée que la premiere, et si, sans la possession de ce que vous me ravissez, les biens, l’instruction, ny la vie ne me sont de nulle consideration ? Souvenez-vous, sage Thamire, que reprendre par force la chose donnée offence plus celuy qui l’ receue, que si l’on la luy avoit refusée ; et ne trouvez point estrange qu’en semblable action je me pleigne de vous, et que je die que ceste seule offence efface toutes les obligations que je puis vous avoir. A fin que cela ne soit, joignez-vous avecque moy, et advouez les paroles que je vay dire de vostre part à Celidée ; et vous, bergere, escoutez-les comme si elles estoient proferées de sa bouche. Comment, ma belle fille, vous dit-il, est-il possible, puis que les merites de Calidon et son affection, de qui la grandeur ne vous peut estre incogneue, n’ont peu obtenir de vous cette grace de le vous faire aimer,