Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/119

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

me veux faire chastier ! Jugez, madame, comme il a l’entendement blessé, et comme il prend la raison à contre-poil. Mais ne te fasche point, berger, ne m’accuse ny ne me loue de ceste action, car je n’en dois avoir louange ny blasme, puis que celle dont tu te plains, fut une de ces actions forcées, que tu dis ne devoir estre, ny recompenses, ny punies.

L’amitié que je portois à Thamire, qui m’en avoit requise par toutes les plus obligeantes conjurations dont il se peut adviser, en fut la cause. Tu sousris, Calidon, de ce que j’ay dit, que l’amitié que je portois à Thamire, m’avoit obligée à traitter ainsi avec toy, parce qu’il te semble que celle qui peu auparavant s’est desclarée si forte ennemie d’amour, ne devroit pas advouer maintenant que l’amour eust ceste puissance sur son ame. Mais, berger, tu te trompes si tu penses qu’estant ennemie d’amour, je le sois toutesfois de l’amitié ou de ceste vertu qui faict estimer les choses comme elles doibvent estre prises.

J’ay ouy dire, grande nymphe, qu’on peut aymer en deux sortes : l’une est selon la raison, l’autre selon le desir. Celle qui a pour sa reigle la raison, on me l’a nommée amitié honneste et vertueuse, et celle qui se laisse emporter à ses desires, amour. Par la premiere, nous aymons nos parents, nostre patrie, et en general et en particulier tous ceux en qui quelque vertu reluit ; par l’autre, ceux qui en sont atteints sont transportez comme