Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/272

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comme l’amour m’a cruellement traitté ! Et apres s’estre teu quelque temps : Je vous jure, dit-il, et vous proteste que c’est la mesme, à qui l’amour m’a donné il y a longtemps. Me pouvoit-il avenir un plus grand malheur, puis que la mort m’est aussi douce que de m’en retirer, et que c’est offenser nostre amitié de continuer !

Je fus fort estonné, luy oyant tenir ce langage ; car, encor que je l’aimasse, si est-ce que je ma faschois de luy laisser Dorinde de qui l’amour me chatouilloit de nouveaux desirs. Et pource, apres avoir tenu les yeux contre le ciel du lict quelque temps, comme une personne interdite, en fin je luy parlay de cette sorte : Mon frere, puis que cette amour est née en nous avant que nostre amitié, tant s’en faut que nostre amitié s’en doive plaindre, qu’au contraire elle la doit tenir comme un tesmoignage de la conformité de nos humeurs, par laquelle nous avons esté poussez à aymer une mesme chose. Mais n’y ayant point eu d’offense par le passé, il faut que nostre prudence empesche qu’il n’y en ait point aussi à l’advenir. Et pour couper chemin à tout ce qui en peut estre, voyons à qui cette belle dame demeurera. De penser que nostre amitié nous la face quitter l’un à l’autre, ce seroit une tyrannie, et non pas une amitié ; de croire aussi que nous puissions estre amis et rivaux, c’est une folie. Que faut-il donc que nous fassions ? Remettons