Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/33

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à ses yeux, il ne peut faire autre chose que regarder, desirer, et souspirer ? Que si jamais vous avez voulu penser profondement à quelque chose, souvenez vous, madame, si la sage nature ne vous a pas appris de mettre la main sur vos yeux, afin que la veue ne divertist les forces de l’entendement ailleurs, et par ceste raison vous concluerez selon ce que j’ay dit. Que si l’amour s’augmente par la cognoissance de la perfection aymée, puis que nous l’avons beaucoup plus grande estant absents, c’est sans difficulté que nous aymons d’avanteage eslongnez que presens.

Mais, s’il est ainsi, interrompit Paris, d’où procede que tous les amants desirent avec tant de passion la veue de celles qu’ils ayment ?- De l’ignorance, respondit Silvandre. Il n’y a personne qui ne puisse attribuer le nom d’amant, qui en lui mesme n’ait ceste opinion, que son amour est si grande, qu’il est impossible qu’ele puisse s’augmenter. Que s’il a ceste creance, malaysément rechercherai-il les moyens de l’accroistre s’il pense qu’elle ne puisse estre accreue, et pour ce, sans recourre a ceste profonde cognoissance, i se contente que celle que ses yeux de moment à autre luy peuvent donner. Mais, ô grande nymphe, combien y a-t-il de difference de ces amours que les yeux nourissent à celle que l’entendement