Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/32

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yeux, mais depuis qu’elle est en nostre ame, nous n’avons plus affaire de nos yeux pour l’aymer à l’advenir : ce que vous jugerez aysément si vous avez jamais aymé quelque chose ; car r’entrez en vous mesmes, et considerez si vous perdriez cette amour, encor que vous perdissiez les yeux : si cela n’est point, vous avouerez que les yeux ne conservent donc pas vostre amour. Pour la cognoissance de la bonté, elle est produite ou des actions ou des paroles, qui toutes deux ont bien besoin de presence pour estre cogneues, mais apres nullement ; car cette cognoissance se conserve dans le secrets cabinets de la memoire, sur laquelle nostre ame se reppliant apperçoit ce qu’elle y en a mis en reserve. Or je croy, madame, que vous scavez bien que pus nous avons de cognoissance de la perfection de la personne aymée, plus aussi nostre amour s’augmente. Mais qui ne sçait que les troubles mouvements des sens empeschent infiniment la clarté de l’entendement, et comme aux contre-poix d’une orloge, l’un ne peut monter que l’autre ne descende, aussi, quand les sens s’eslevent, l’entendement s’abaisse, et se releve au contraire quand les sens sont abaissez. Que s’il est ainsi, ne m’avouerez-vous pas qu’en absence l’entendement de celuy qui ayme agira beauoup plus parfaittement, que quand, transporté par le objets qui se presentent