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Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/525

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propre volonté, et juge toutes choses telles qu’elles sont, et non pas selon l’opinion d’autruy, je nie que l’amant soit homme, puis que dés l’heure qu’il commence de devenir tel, il se despouille tellement de toute volonté et de tout jugement, qu’il ne veut ny ne juge plus que comme veut et juge celle à qui son affection l’a donné. – O miserable estat que celuy de l’amant ! s’escria la nymphe. – Mais tant s’en faut, respondit incontinent le berger, miserable celuy qui n’ayme point, puis qu’il ne peut jouyr des biens les plus parfaits qui soient au monde. Et jugez, belle nymphe, quels doivent estre les contentements d’amour, puis que les moindres surpassent les plus grands qu’on puisse avoir en toutes les choses humaines sans amour. Y a-t’il rien de si aisé à divertir que les biens qui sont en la pensée ? Et toutesfois, quand un amant se represente la beauté de celle qu’il ayme, mais encor cela est trop, quand il se remet seullement une de ses actions en memoire, mais c’est trop encores, quand il se ressouvient du lieu où il l’a veue, voire quand il pense qu’elle se ressouviendra de l’avoir veu en quelque autre endroit, pensez-vous qu’il voulust changer son contentement à tous ceux de l’univers ? Tant s’en faut ; il est si jaloux et si soigneux d’entretenir seul cette pensée, que pour n’en faire part à personne, il se retire ordinairement en lieu solitaire et reculé de la veue