Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/62

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que vous m’aymez ; et faudra-t’il, si je vous ayme estant mort, que je vous en fasse de mesme ? – Ma belle fille, luy dis-je, la prenant entre mes bras, et la baisant, les bergeres, pour preuve de leur amitié ne doivent pas sauter au col des bergers qu’elles ayment, ny leur faire les caresses dont vous parlez, c’est assez qu’elle les souffrent. – Et quoy, me repliqua-t’elle, est-ce un tesmoipage de bien aymer que de souffrir d’estre baisée et caressée de ceste sorte ? – C’en est un sans doute, luy dis-je, et cest pourquoy elles ne le doivent souffrir, sinon de ceux qu’elles ayment. – Et quelle cognoissance de leur amour nous peuvent donner les bergers ? – Celle, luy dis-je, que vous pouvez avoir de moy, quand je vous baise et quand je prens plaisir à vous caresser. – De sorte, me respondit-elle, que quand quelqu’un me voudra baiser ou se jouer de ceste sorte avec moy, je recognoistray incontinent qu’il m’aymera.

Je vous raconte les naïvetez de cette bergere, afin, madame, que vous cognoissiez mieux, et de quelle qualité estoit l’amitié qu’elle . me portoit, et avec quel soing je l’ay eslevée, s’il faut dire, non point en amant, mais en pere, et quelle est l’obligation qu’elle me doit avoir, de ce qu’en un aage si peu fin, je ne l’ay pouit aymée malicieusement ; car vous jugez bien, par ces demandes et repliques, qu’elle n’avoit pas un esprit, qui m’eust peu resister, ny refuser quoy que j ’eusse