Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/79

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les sourcils froncez, et la couleur plus haute que de coustume; mais je ne me figurois pas qu’elle fust tant offencée contre moy, ne croyant que Cleontine lui eust dit que cela vint de moy.

J’estois de fortune seul au pied de ce gros orme qui tout seul au milieu presque de la plaine de Mont-verdun, est posé sur le grand chemin ; aussi tost que je l’apperceus, je me levay, et luy tendant la main comme je soulois, je fus estonné qu’elle recula le bras, et me regardant d’un mil plein de courroux : Comment, me dit-elle, Thamire, oses-tu tendre la main à celle que tu as donnée à un autre ? Ne te contentes-tu pas de m’avoir abusée, tant que l’innocence de mon aage l’a peu supporter ? Ou si tu penses d’estre si fin et dissimulé, et si tu me crois de si peu d’esprit que n’estant plus enfant, je ne puisse recognoistre tes ruses et ta perfidie ? Et par ce que surpris de l’ouyr parler de ceste sorte, elle vit que je ne luy respondois point : Ah ! non, Thamire, ne penses plus de me pouvoir abuser par tes ny par tes asseurances d’amitié, je suis devenue plus malicieuse, et pleust à Dieu que je l’eusse tousjours tant esté, je n’aurois pas pour le moins tant d’occasion de me plaindre de toy maintenant !

Mais vien-çà, ingrat, et cruel (ouy, je te puis appeller ingrat, ayant si ingratement oublié les raisons que tu avois de m’aymer, et je te puis