Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/823

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ay tant d’occasion d’aimer, et à celuy de Calidon, qui a tant souffert de peines, pour l’affection qu’il m’a portée ? Au pis aller, que m’en adviendra-il ? Quand je seray laide, moins de personnes m’aimeront, et de qui dois-je vouloir l’amitié que de Thamire ? Mais Thamire mesme ne m’aimera plus : si son amitié n’est fondée que sur ma beauté, ce sera dans peu de temps qu’elle se perdra ; s’il m’aime pour les autres conditions qu’il peut avoir recognues en moy, voyant que j’au- ray donné ceste beauté pour me rendre du tout seinne, il me devra aimer et estimer davantage. Bref, faisons nous paroistre telle que nous desirons d’estre crue. Ceste beauté est cause que Calidon manque à son devoir, et que Thamire mesme a moins de soin qu’il devroit avoir à sa propre conservation ; rachetons-les et nous aussi, eux, des fautes où ils sont tombez, et nous, du desplaisir que nous en avons. Et par la perte d’une chose de si peu de durée que la beauté, payons leur rançon et la nostre, afin qu’à l’advenir nous puissions vivre en liberté, et hors de ceste continuelle inquietude.

A ces mots, ô Dieu ! madame, quelle estrange et genereuse action vous vay-je raconter ? A ces mots, dis-je, Celidée met la pointe du diamant à son front, et d’une main genereuse se l’enfonce dans la peau, et quoy que la douleur fut extresme, si se le couppe-t’elle d’un costé à l’autre, et grinssant