Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/838

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peine ; aussi ne mettray-je jamais au cours de me vie, les lunes ou plustost les siecles que j’ay passez en si miserable estat. Car tant s’en faut, que je puisse dire d’avoir vescu, que je tiendray tousjours avoir plus souffert en ce temps là, que les douleurs de la mort ne sçauroient estre grandes, d’autant que, quand la mort est advenue, les douleurs ne la peuvent outrepasser, ny l’accroistre. Mais en ceste passion dont je parle, tant de nouveaux accidents qui l’agrandissent survenoient d’heure à autre, que quand je venois à tourner les yeux sur mes premiers maux, je trouvois les derniers si grands, qu’il me sembloit que ceux que j’avois soufferts auparavant, ne meritoient point d’avoir le nom de douleur. Et le pis encor estoit, que j’avois une si grande curiosité de rechercher les sujets de mon desplaisir, que bien souvent, quand il ne s’en presentoit point, je m’en figurois de tant esloignez de toute apparence de raison, que maintenant, quand je les considere, je m’estonne comme il est possible que mon jugement fust si perverty.

Si elle parloit librement avec Silvandre, ô que ses paroles me perçoient vivement le cœur ! Si elle ne luy parloit point, je disois qu’elle feignoit ! Si elle me caressoit, je pensois qu’elle me trompoit ! Si elle ne faisoit point de conte de moy, que c’estoit un tesmoignage du changement de son amitié ! Si elle fuyoit Silvandre, qu’elle