Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/839

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craignoit que je m’en apperceusse ! Si elle s’en laissoit approcher, qu’elle vouloit mesme que j’eusse le desplaisir de le voir ! Si elle se monstroit gaye, qu’elle estoit bien contente de ses nouvelles affections ! si elle estoit triste, qu’il y avoit quelque mauvais mesnage entre eux ! Bref, toute chose m’offençoit ; et quand il n’y avoit rien sur quoy je peusse fonder quelque occasion de desplaisir, je m’accusois de faute du jugement, de ne sçavoir recognoistre leurs dissimulations. Combien de fois ay-je souhaité de n’avoir point de veue, pour ne voir ny Silvandre ny Phillis ! Mais laisseroient-ils, (disois-je incontinent) de s’aymer, encor que je ne les visse pas ? Combien de fois ay-je desiré de perdre la vie ! Mais disois-je, il vaudroit mieux perdre l’amour, d’autant que la memoire qui me tourmente, ne laisseroit de me suivre apres mon trespas ! Et voyez à quelle extremité mon mal estoit parvenu, puisque au lieu d’aymer Phillis, je la haïssois: j’eusse voulu qu’elle eust esté laide, et desagrable, et toutesfois j’eusse esté marry, si elle eust eu moins de beauté et de grace. Ce que je reconnus en ce mesme temps-là, parce qu’ayant eu deux ou trois accez de fiévre, et le mal luy ayant changé le visage, j’en eus tant de desplaisir, qu’elle mesme s’en aperceut. Vivant donc ou plustost languissant de ceste sorte, estant presque reduit à un desespoir, les dieux sans doute eurent pitié de moy.