Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/864

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

commencement plaine d’ennuy et de tristesse, laisse incessamment couler ses larmes le long de son beau visage, perd le repas et le repos, et ne cesse de se tourmenter que quand Ataulfe est aupres d’elle, qu’elle se contraint le plus qu’elle peut de luy faire bon visage.

Ce prince qui avoit esté porté d’amour à l’espouser, ne pût longuement souffrir qu’elle vesquit ainsi, sans luy demander l’occasion de son desplaisir : à qui en fin elle fit une telle responce : J’ay fait, ô grand roy, tout ce qui m’a esté possible pour ne te point donner cognoissance de l’extreme desplaisir qui me presse, craignant qu’en cela je ne te fusse fascheuse et importune. Mais puis que la nature m’a fait trop sensible, et trop foible pour resister aux coups que la fortune me prepare et que la bonté d’Ataulfe, et l’amitié qu’il porte à sa Placidie ont esté telles, que je ne leur ay pû cacher l’ennuy que je ressentois, je te supplie de ne trouver point mauvais que ne pouvant remedier d’autre sorte à l’infortune, qui accable ma patrie, je luy donne des larmes au lieu du sang, ainsi que la nature nous oblige, et que je respandrois beaucoup plus librement pour sa conservation. Je voy tes armes, ô seigneur, qui ont tousjours esté invincibles, tournées à la ruine de ceste miserable Rome, à qui je doy ma naissance, et de qui je tiens toute la grandeur de ceux, dont je me vante d’estre yssue. Et peux-tu penser que si je la pouvois