Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/179

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oyez quelle a esté ma vie, depuis la mort de ce grand roy, à qui vous et moy avions tant d’obligation, et vous jugerez que vous estes le plus injuste de tous ceux qui vivent, et que vostre silence vous auroit rendu indigne de l’amitié de toute sorte de personnes, si mon affection n’estoit encore plus grande que votre offence.

Alors elle commença de prendre depuis le commencement de nostre separation jusques à cette entre-vue, ne laissant en arriere une seule occasion où elle avoit peu sçavoir de mes nouvelles, pour me reprocher l’oubly dont elle m’accusoit. Et, au contraire, pour me tesmoigner la memoire qu’elle avoit eue de moy, elle me raconta presque tout ce qui m’estoit arrivé de plus remarquable ; et lorsqu’elle eut longuement continué, et que veritablement je demeurois estonné qu’elle en sceust tant de particularitez : Vous estes esbahy, me dit-elle, que je vous raconte de cette sorte vostre vie, mais si vous eussiez esté tel que vous deviez estre, c’eust esté par vous que je l’eusse apprise, non pas par quelque autre, et, par ainsi, ce qui est maintenant tesmoignage du deffaut de vostre amitié, l’eust esté de la durée de vostre affection, parce que le soing que vous eussiez fait paroistre de sçavoir de mes nouvelles et de me donner des vostres, eust esté un aussi glorieux tesmoing de vostre amour, que vostre silence a esté un signe honteux de vostre oubly.