Elle continua de ceste sorte en ses reproches, et à me raconter sa vie et la mienne, plus d’une heure durant, sans que jamais elle me permist d’ouvrir la bouche pour ma deffense, ny pour luy respondre. En fin, cette orgueilleuse beauté pensant avoir tiré assez de preuves de la puissance qu’elle avoit sur moy, changeant tout à coup de visage et de parole : Maintenant, me dit-elle, Alcidon, je vous permets de parler, me contentant de vous avoir osté la parole deux heures durant en me voyant, en eschange de deux ans que, volontairement, vous avez esté muet pour moy en mon absence. – C’est bien, luy dis-je en sousriant, user d’une grande bonté que de changer les années en des heures. – Je l’advoue, me repliqua-t’elle, mais c’est d’autant que la faute que vous avez commise est telle, qu’aussi bien ne sçauroit-elle estre esgalée par quelque grandeur de supplice que l’on vous peust donner, et qu’aussi bien je me veux montrer autant pitoyable envers vous que vous me reconnaissez maintenant puissante à vous punir si je le voulois. – Madame, luy dis-je alors, que je baise vos belles mains pour remerciment de tant de faveurs et de graces que vous me faictes ! Si je n’avois peur qu'on ne s’en apperceust, je me jetterois à vos pieds, pour vous tesmoigner combien je reçois de bon cœur l’honneur que vous me faites. Mais, ne l’osant pas, vous recevrez la volonté que j’en ay, au lieu de ceste soubmission. Et