Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/212

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que nous pouvions parler ensemble sans estre ouys du reste de la chambre. Ceste resolution estant prise, Delie se chargea d’avertir de nostre dessein celuy qui m’avoit conduit, afin qu’il donnast ordre à tout ce qui estoit necessaire, tant pour empescher que ces chevaliers, qui estoient venus avec moy, ne fussent aperceus, que pour les faire trouver au lieu et à l’heure que nous avions prise.

Plusieurs fois, oyant discourir nos druides de l’estat et de la vie du grand Tautates et des ames immortelles des hommes,qui, apres cette vie, pour recompense de leurs vertus, s’en vont dans le Ciel aupres de luy, où elles doivent demeurer à jamais, je me suis grandement estonné, et presque ne pouvois comprendre,que ce ne fust une vie bien desagreable et ennuyeuse que la leur, puis, à ce qu’ils disent, qu’ils n’y boivent, n’y mangent, n’y dorment, n’y font autre chose que perpetuellement penser et contempler, me semblant que le temps leur devoit estre bien long, le passant tout en imaginations. Mais j’avoue que, depuis ce temps, j’ay cogneu le contraire, lorsque je considerois combien promptement et agreablement pour moy se passoient les heures prés de cette belle. Car je ne fus de ma vie plus estonné que quand je vis esclairer le jour, ne me semblant pas que la nuict eust duré une heure, tant elle avoit passé, ou plustost s’en estoit envolée promptement.