Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/375

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fait paroistre tant de bonne volonté, et avant, et durant l’amitié d’Euric, mesmes au peril de toute sa fortune, auroit, apres la mort de ce prince, changé cette volonté envers moy, et ne m’auroit pas voulu reçevoir. Car il n’y a pas apparence qu’une dame si accomplie et si pleine de jugement change ainsi d’humeur sans occasion ; de sorte qu’il y a apparence qu’elle ait recogneu en moy ceste faute de laquelle elle m’accuse. Nullement, mon pere. Mais en voicy la raison, et ses paroles mesmes nous l’ont descouverte : il est vray qu’au commencement elle a aimé ce prince par ambition, et, comme elle disoit, par raison d’Estat. Mais faut-il trouver estrange si l’on se brusle, quand on met le doigt dans le feu ? II faudroit plus tost s’estonner si l’on ne se brusloit pas, car ce seroit contre nature. Le grand Euric estoit veritablement un prince si accompagné de toutes les graces qui peuvent faire aimer, que cette belle dame peu à peu en fut esprise sans y penser, et, au lieu de l’aimer comme elle disoit, elle l'aima comme il meritoit. Et pour montrer que je dis vray, voyez, mon pere, quels desplaisirs furent ceux qu’elle eut de sa perte, quels ressentimens en a-t’elle conservez jusques icy ! Qui ne jugera que ce sont des effects d’une veritable et tres-ardante affection ? Je ne les veux pas remarquer par le menu, car ce n’est que rendre ma playe plus