Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/526

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cruels envers le grand Tautates qu’ils ne sont envers les hommes, puis que nous laissons bien à chacun la libre disposition de ce qui est sien, et nous ne voulons pas qu’il puisse à son gré disposer de nous comme si tout l’univers, et tous les hommes particulierement n’estoient pas siens, et faicts de ses mains. Ceste consideration m’a lié bien souvent la langue, lors qu’en l’excez de mes douleurs j’ay voulu murmurer contre ceste fortune, qui ne semble avoir puissance que de me mal faire, tant et si longuement elle m’a travaillé. Et toutesfois, si en la violence du mal, il peut estre permis de jetter quelque souspir, non pas pour se douloir, mais seulement pour tesmoignage que l’on le ressent, ne vous estonnez point, madame, je vous supplie, si en la suite de ce discours, vous me voyez quelquefois contraint de sous-pirer par le souvenir de tant d’infortunes ; et croyez que ; si ce n’estoit vostre exprez commandement, je n’aurois garde de vous raconter ma misérable vie, et dont le souvenir ne me peut apporter qu’un rangregement de mes peines.

Sçachez donc, madame, que je suis d’Aquitaine, eslevé par le roy Torrismond, l’un des plus grands roys qui ayt commandé sur les Visigots, prince si bon et si juste, qu’il se faisoit aymer de ses peuples, comme s’ils eussent esté Visigots. Ce roy se pleut à relever sa Cour par dessus tous les autres roys ses voisins, fust par les