Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/527

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armes, fust par la gentillesse et civilité de ceux qui demeuroient prez de sa personne ; de sorte que nous estions une bonne troupe de jeunes enfans qui fusmes nourris prez de luy aussi soigneusement que si nous eussions esté les siens propres. De ceste mesme volée fut Alcidon, Cleomer, Celidas, et plusieurs autres, qui tous sont reussis tres-accomplis chevaliers.

Je fus donc nourry parmi eux, et puis dire que ceste nourriture est la seule apparence de bonne fortune que j’aye recogneu en toute ma vie. Mon père qui s’appelloit Beliante, et qui par sa vertu s’estoit acquis une grande authorité prez de Thierry, et telle qu’il fut grand comte de son escuyer, me laissa orphelin, que j’estois encores au berceau, commençant la fortune de ce temps-là la persecution que depuis elle a tousjours continuée ; car ne voulant pas que je me prevalusse du credit que mon pere s’estoit acquis, elle me l’osta que j’estois encores au tetin, et ma mere bien tost apres, craignant, comme je crois, que le bien que ceste ennemie fortune leur avoit faict, si j’eusse esté en un aage capable de le sçavoir conserver, ne fust demeuré entre mes mains, aymant mieux, la cruelle qu’elle estoit, me donner occasion de porter le dueil dans le berceau et avec mes langes mesmes.

Au sortir de mon enfance je tournay les yeux sur une belle dame, le nom de laquelle je desirerois fort de taire, aussi bien que