ne me fist perdre du temps, je pensay qu’il valoit mieux partir sans luy en rien faire sçavoir ; et apres, si j’estois victorieux, je viendrois faire mes excuses, et le remercier des obligations extremes que je luy avois. Je montay donc à cheval, et avec une tres-grande diligence je me rendis au faux-bourg de la ville où estoient mes armes ; je les essayay, et je les trouvay tres bonnes et bien faites. Elles estoient toutes noires, et dans l’escu il y avoit un tygre qui se repaissoit d’un coeur humain, avec ce mot : TU ME DONNES LA MORT, ET JE SOUSTIENS TA VIE.
Et sans m’arrester, je repris le chemin de la ville des Tectosages, et fis une si grande diligence que j’y arrivay un peu avant midy. Je mis pied à terre pour faire repaistre mon cheval, qui estoit à la verité bien las, et cela faillit d’estre cause de la perte de Madonte, car lors que j’arrivay à la porte du camp, je trouvay que le combat estoit desja commencé, mais d’un chevalier contre deux. Il est certain que pour peu que j’eusse retardé d’avantage, et le chevalier estoit mort et Madonte convaincue, car il tomba esvanouy, que je n’estois encore entré dix pas dans les barrieres, et s’il fust tombé avant que j’y fusse arrivé, le combat estoit finy, et il ne m’eust pas esté permis de le renouveller.
Or Dieu voulut que j’arrivasse si à propos, afin que l’innocence de cette belle dame fust recogneué ; car, sans que je m’amuse à vous raconter les particularitez