Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/576

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d’autant que, me croyant mort, comme tout le reste de l’Aquitaine, je n’avois aucune occasion de m’en plaindre. Mais mon desplaisir estoit si grand que, ne pouvant supporter de voir les lieux où j’avois eu autresfois tant de sujet de me plaire, et où j’avois maintenant tant d’occasion de desplaisir, je me résolus de sortir de l’Europe, et ne cesser de marcher que je n’eusse rencontré ce qui met fin à tous les ennuis de la vie.

Je sortis doncques de l’Europe, passay en Affrique, vis le roy Genseric, Honorie son fils, et recogneus en fin que par tout amour a le mesme pouvoir que je l’avois espreuvé en moy. Je veux dure qu’il augmente et diminue, change et rechange les plaisirs et les desplaisirs de ceux qui le servent comme il luy plaist, et tous-jours sans s’assujettir à la raison. Car estant parmy ces Vandales, j’appris les fortunes d’Ursace et d’Olimbre, et celles de Placidie la jeune et de sa mere Eudoxe, femme de Valentinian, lesquelles, par leurs exemples, ne me divertirent pas d’aymer, mais m’apprirent bien que qui veut aymer, se doit preparer et au bien et au mal, et les recevoir tous deux avec un mesme visage. Et considerant les divers changemens de la fortune d’Eudoxe, la longue perseverance de l’amour d’Ursace, la sage conduite du jeune Olimbre, et l’heureuse conclusion de leurs amours, je me resolus de ne me plus tant affliger de la contrariété que je ressentois en mon affection, et de la supporter avec plus de