Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/605

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d’acheter quelque chose, il regarde combien elle peut valoir, et puis amasse de tous costez l’argent qui luy est necessaire pour esgaler ce prix. J’en fais de mesme ; car lors que j’entreprends d’aimer une dame, je regarde incontinent quelle est sa beauté, car, comme vous sçavez, ce qui donne le prix aux femmes, ce n’est que la seule beauté. Et soudain, je fais un amas d’amour en mon ame, esgal au prix et à la valeur qui est en elle, et lors que j’ayme, je vay despendant cet amas d’amour, et quand je l’ay tout employé au service de celle pour qui je l’avois amassé, il ne m’en reste plus pour elle. Et faut, si je veux aimer, que j’aille ailleurs chercher une nouvelle beauté pour faire un autre amas d’amour, si bien qu’en cela mon argent et mon amour se ressemblent bien fort. Je veux dire, que l’un et l’autre, quand je les ay dépendus, je ne les ay plus, vous auriez donc quelque raison de craindre, ma maistresse, si jamais je n’avois aimé ces nouvelles bergeres ; mais il y a long temps que j’ay despendu tout l’amas que j’avois fait pour leur beauté, et qu’il n’y en a plus en moy pour elles. – Mais, mon serviteur, adjousta Alexis, les marchands qui sont riches, encores qu’ils-ayent une fois vuidé leurs bources, ils ne laissent de les remplir pour achepter la seconde fois ce que la premiere ils n’auroient peu avoir. – Or, reprit Hylas, c’est en quoy, ma maistresse, ces riches marchands et