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Page:Uzanne - Contes pour les bibliophiles, 1895.djvu/128

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le vénérable pasteur me bénit solennellement, des mères me montraient à leurs tendres rejetons, de douces larmes coulaient de tous les yeux. Moi aussi, j’étais ému ! j’espère bien que les vertus patriarcales vont, grâce à moi, fleurir de plus belle dans cette gracieuse vallée.

L’après-midi j’ai couronné de mes mains la jeune fille choisie parmi les plus sages et je lui ai remis une somme de six cents livres qui lui servira de dot.

13 octobre. — J’en ai assez. Ce soir encore, après conseil des maréchaux, Berthier est revenu avec un tas de rapports et d’ordres à me soumettre : Nécessité de faire avancer le grand parc de siège et ordres nécessaires. Rapports sur les combats de la semaine dernière, propositions d’avancement État général des pertes des 3e et 4e corps à ce jour. États fournis par l’artillerie, gargousses, obus et boulets. Demandes diverses de matériel formulées par les ambulances. Comme il leur en faut, aux ambulances !… Rapports divers sur les positions de l’ennemi…

C’est trop, j’en ai assez ! J’ai fait une proposition à la comtesse : Je donne ma démission et nous allons vivre loin du vain théâtre de la gloire et loin de ses absorbants soucis, dans une heureuse médiocrité. Nous allons goûter au sein de la nature, sous les orangers de mon beau pays, tous les calmes bonheurs que le ciel réserve aux mortels obscurs.

J’ai toujours été dépourvu d’ambition, ce sont les circonstances qui m’ont amené au poste que j’occupe, eh bien ! je suis disposé à le quitter, à tout rejeter des vanités de ce monde et à m’en aller vivre chez nous avec la comtesse, si elle y consent. Je me rappelle un de nos cousins qui était curé dans un petit village en montagne et en vue de la mer ; je fus souvent, quand j’étais petit, le voir aux beaux jours d’automne ; c’était un brave homme, un peu porté sur sa bouche, mais quel presbytère délicieux ! un jardin où tous les fruits poussaient, où toutes les fleurs de la création répandaient leurs parfums ! Avec trois mille écus de rentes et cette maison, nous connaîtrions le bonheur ! l’âge d’or !… Mais, que dis-je ? quels rêves vais-je ébaucher ? Et Joséphine que j’oubliais !… Mon Dieu, si elle y consent aussi, tout peut s’arranger ; je lui louerai une petite maison avec un grand jardin à la ville, à deux lieues de chez nous, et j’irai la voir deux fois par semaine… Je vais parler sérieusement à la comtesse !

15 octobre. — Bien des ennuis et de la fatigue depuis deux jours. Obligé de remettre à plus tard mes rêves de tranquillité. Tout le temps à cheval et du travail par-dessus la tête !

Grande bataille à Iéna. Ennemi en déroute laissant 20 000 morts, 40 000 blessés et peut-être autant de prisonniers. Cavalerie poursuit.