Page:Uzanne - Contes pour les bibliophiles, 1895.djvu/188

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chair et dans leurs os, et le froid linceul de la mort s’abattre sur leurs épaules !

Hélas ! le pauvre Picolet, héros malheureux » manqua un matin pour la première fois depuis 1756 à la bibliothèque de l’Abbaye. Dom Poirier l’attendit vainement : il venait d’entrer à l’Hôtel-Dieu avec une pleurésie, pour y mourir, gémissant surtout de la perte du Romant de la Pucelle, à jamais disparu, réduit en cendres comme la Pucelle elle-même.

Et dom Poirier resta seul.

Bien d’autres débris de la bibliothèque, arrachés aux flammes, n’en avaient pas moins été perdus. Longtemps encore après l’incendie, les épiciers du quartier se fournirent à bon compte de cornets pour leurs denrées, et l’on vit même des marchands de vieux papiers vendre, au poids, des tas de manuscrits parfois ornés d’enluminures, des piles de vieux parchemins, des chartes pourvues de leurs grands cachets de cire pendant au bout des cordons. Des collectionneurs anglais ou hollandais, qui se créaient alors des musées à bon compte, avec les épaves des palais, des couvents et des hôtels seigneuriaux, dans la si lamentable liquidation de la vieille France, purent trouver ainsi bon nombre de manuscrits uniques ou des pièces du plus grand intérêt historique, aux tas à deux liards ou un sol la livre.