Page:Uzanne - Contes pour les bibliophiles, 1895.djvu/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

scrupules, pendant que Picolet, ne voyant plus rien venir, s’arrachait les cheveux.

Ainsi dans les flammes, comme au temps des Normands, acheva de périr l’anrique et vénérable Abbaye. Mais elle ne devait pas ressusciter comme jadis ; les dernières braises éteintes, les ruines subsistèrent quelque temps, œuvre lamentable de quelques heures, puis on acheva la destruction, on renversa les ruines, on rasa les débris et tout fut dit…

De la malheureuse bibliothèque il n’y eut de sauvé que ce qui fut emporté par les voleurs pour être vendu à vil prix, ou entassé dans les caves par les deux sauveteurs. Des montagnes de manuscrits et de papiers, de cartons éventrés, de rouleaux écrasés, de parchemins souillés, remplissaient ces vieilles caves jusqu’à la hauteur des piliers trapus supportant les voûtes. Là, dans l’obscurité pesante, dans les flaques d’eau envoyées par les pompes, dans la moisissure, les deux courageux sauveteurs s’installèrent pour compléter leur œuvre, reconnaître, mettre en ordre et à l’abri les richesses jetées là, — au péril de l’humidité, maintenant, après le péril des flammes. Ils passèrent six mois à ce travail, à soigner, pour ainsi dire, les pauvres manuscrits ; six mois dans cette cave, à défaut d’un autre asile qu’on n’en tinissait pas de leur donner ; six mois sous les voûtes glaciales, à disputer aux rats les précieuses reliques du passé ; six mois à souiller dans leurs doigts et à sentir les rhumatismes les mordre et la maladie s’infiltrer dans leur