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Et M. de Coudray, retroussant sa moustache en galant officier de Bourgogne-Cavalerie, entonne la fanfare de triomphe :

Et quand on songe à s’embrasser,
Oh ! qu’il est ennuyeux d’écrire !

Oh ! oh ! Halte là ! Pas de suppositions aventurées. Ce roman vrai du xviiie siècle est un roman honnête, l’Almanach des Muses fut un entremetteur matrimonial ; les Mélanges d’histoire locale, déjà consultés tout à l’heure, le constatent, M. de Coudray et Mlle Sylvie de Ligneul se marièrent aux Islettes vers le milieu de cette belle année 1789.

La phrase finale et naïve des anciens contes peut-elle leur être appliquée ? Furent-ils heureux et eurent-ils beaucoup d’enfants ? Sans nul doute l’avenir devait leur tenir en réserve de longues années de joies paisibles et douces ; ils avaient l’amour, la jeunesse, la beauté, une honnête fortune, une habitation charmante, les beaux ombrages des Islettes,… le bonheur, enfin !

Cupidon, sur son autel en rocaille, devait sourire et se préparer à rayer le mot Philosophie pour rétablir l’invocation primitive : Amour !


IV


Ouvrons encore les Mélanges d’histoire locale, et voyons ce qu’il y avait sur le livre du destin pour chacun des deux époux :

« … Pendant la période révolutionnaire, les Islettes eurent une existence agitée. Les nouveaux propriétaires s’y calfeutrèrent pour laisser passer l’orage, mais le tonnerre les atteignit. M. de Coudray, qui avait donné sa démission d’officier, paraît s’être jeté bientôt, et vigoureusement, dans le mouvement contre-révolutionnaire ; blessé au 10 août, menacé d’arrestation, il resta quelque temps caché aux Islettes auprès de sa femme, puis passa en Angleterre, d’où il gagna la Vendée. Pris à l’attaque du château de Pornic, il fut, quatre jours après, guillotiné à Nantes, dans une fournée de Vendéens, et Mme de Coudray, restée aux Islettes, faillit avoir le même sort. Arrêtée sur la dénonciation d’un comité, accusée de détenir aux Islettes un dépôt d’armes, les perquisitîonneurs ayant mislamaïn sur les fusils de chasse de M. de Coudray, elle fut, heureusement pour elle,