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Page:Uzanne - Contes pour les bibliophiles, 1895.djvu/232

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Après la bataille, pendant qu’on procédait à l’enfouissement des morts, un homme de science, un médecin-chirurgien de Nuremberg, nommé Eobanus Bolgnuth, découvrit le corps de l’infortuné comte d’Harcourt qui respirait encore et implorait d’une voix sourde quelques gouttes d’eau pour étancher sa soif de moribond fiévreux.

Eobanus se pencha sur ce visage mutilé, couvert de sang, presque informe ; il le lava, examina la blessure, la trouva spécialement intéressante, et, avec l’idée fixe des médecins qui voient plutôt le cas que le malade, et dont l’humanité est d’autant plus expansive que le mal qu’ils ont à vaincre paraît devoir leur rapporter plus de gloire, il fit transporter le mourant dans une maison de village voisin, puis, sans haine pour cet ennemi momentané de la Bavière, il se mit à lui consacrer tous ses soins.

D’après le long mémoire qu’Eobanus Bolgnuth a écrit, relativement à sa tentative de cure, le comte Bernard d’Harcourt se débattit huit jours durant entre la vie et la mort ; soigné à l’eau et à l’esprit, dit le texte, le neuvième jour le médecin-chirurgien se décida à tenter l’opération du trépan, car les méninges s’enflammaient de plus en plus et le malade souffrait d’intolérables douleurs ; il pratiqua donc une incision cruciale sur le frontal, replia la peau sur quatre côtés, et, muni d’une scie primitive, il fit cette section carrée que vous pouvez voir sur la boîte crânienne de notre momie.

À la façon détaillée dont Eobanus parle dans son mémoire de cette trépanation, il est à croire qu’il y attachait un intérêt extraordinaire pour la science ; il exprime minutieusement toutes les phases de l’opération et paraît enthousiasmé de la réussite, car une semaine plus tard Bernard d’Harcourt vivait encore, la peau recousue, avec un emplâtre de pois sur la tête, Mais ce guerrier était trop impétueux pour attendre patiemment sur un lit les effets du miracle ; à peine eût-il recouvré entière possession de sa pensée qu’il voulut s’évader de chez son guérisseur hérétique. Une lutte terrible s’engagea entre les deux hommes, l’un usant de douceur et de supplications, l’autre d’invectives et de violences ; vaincu, le blessé succomba à une fièvre chaude au cours de laquelle il arracha ses derniers pansements et se rouvrit férocement cette sorte de fenêtre si laborieusement pratiquée dans son crâne.

Le pauvre docteur Eobanus fut consterné par cette mort. Le récit qu’il fait de son désespoir est touchant et comique à la fois, mais, fier de son œuvre qu’il jugeait au-dessus de la science de son temps, il ne put se résoudre à confier entièrement à la terre ce corps que son art allait rendre à la vie : c’est pourquoi, afin de conserver à la vue de ses héritiers et des futurs maîtres praticiens de la Bavière et du monde entier le témoignage de son « beau travail », se décida-t-il à décapiter ce cadavre et à dessécher cette tête avec le succès dont nous pouvons juger.