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Page:Uzanne - Contes pour les bibliophiles, 1895.djvu/233

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V


— Mais, dites-moi, cher comte, s’écria, à la fin de ce récit, lord L***, il me semble que le très prudent docteur Eobanus Bolgnuth a dû consigner dans ses notes, en homme méthodique, les formules précises de son procédé d’embaumement ; car, après avoir traîné au fond des crédences et dans les caves des brocanteurs, cette tête de Bernard d’Harcourt est vraiment surprenante de conservation, je dirais presque de fraîcheur, si je ne craignais d’être irrespectueux ; cela nous touche peut-être davantage que son système spécial de trépan, qui ne saurait être à la hauteur des vilebrequins de notre chirurgie moderne.

— Son procédé de dessiccation… en effet, je crois m’en souvenir, car il m’a frappé, reprit notre amphitryon ; il consiste, si ma mémoire est exacte, dans un lavage à l’eau, après évacuation de la matière cérébrale et des lobes des yeux, et dans un bain constant de sublimé corrosif pendant plusieurs semaines, après quoi interviennent l’alun et le tannin qui achèvent de rendre la peau imputrescible et la garantissent des insectes et des vers.

— N’aviez-vous rien fait, demandai-je à mon tour, pour restituer aux arrière-neveux du comte Bernard d’Harcourt cette tête de héros si providentiellement retrouvée, car il existe encore, vous le savez sans doute, de nombreux d’Harcourt en France, dont quelques-uns ont été mis en vue durant ces dernières années ?

— Je me suis informé, croyez-le, car je ne me considérais point comme possesseur définitif de cette relique, dont de proches descendants pouvaient légitimement s’enorgueillir et qu’ils n’auraient point manqué d’enfermer dans un pieux tabernacle ; je fis donc copier avec soin par mon secrétaire les papiers si curieusement documentés du médecin Eobanus Bolgnuth, ei j’écrivis personnellement une longue lettre au chef actuel de la famille d’Harcourt, le mettant au fait de ma singulière trouvaille… mais… j’attends encore la réponse. — Peut-être la bizarrerie de l’aventure fit-elle douter du sérieux de ma missive ; peut-être y eut-il négligence, en tout cas je ne recueillis de ma tentative que du silence.

Si la chose vous intéressait particulièrement, ajouta aimablement le comte W***, en se tournant vers moi, sî cette triste épave de l’un de vos vaillants compatriotes pouvait, à un titre quelconque d’artiste ou de croyant, vous séduire, soit pour la conserver chez vous, soit pour en faire don à quelque musée de Paris, vous n’avez qu’un mot à dire, et bien