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Page:Uzanne - Contes pour les bibliophiles, 1895.djvu/41

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au plafond, ces moisissures le long des murailles ; tenez, voilà tout un panneau détruit ; regardez, voilà des planches qui se décollent ! oh ! l’humidité, cher monsieur, l’humidité, comme ça dégrade les immeubles !…

— Pitié ! mademoiselle, puisque vous ne voulez pas m’épouser, adoptez-moi. Je serai votre fils, je vous chérirai, je vous…

— Y pensez-vous, monsieur ? on jaserait !

— Laissez-moi vous adopter, alors ; je serai votre père, votre oncle…

— Vous êtes plus jeune que moi ! Vous avez cinquante ans et n’en paraissez pas plus de cinquante-cinq !… Tenez, regardez dans la cour, voyez-vous cette petite fille qui saute à la corde, elle a cinq ans et demi, c’est ma petite nièce et mon unique héritière, patientez jusqu’à ma… mon… ma disparition de cette terre de mauvaise foi, elle aura le droit de vous céder tous ces bouquins… s’il en reste !… Maintenant, veuillez prendre l’escalier, s’il vous plaît ; j’ai l’honneur de vous saluer ! »


III


Après quinze jours consacrés à soigner un commencement de maladie nerveuse, rapporté de sa visite à Mlle Sigismond, le sympathique et amaigri Raoul Guillemard revint encore à Pontoise, mais cette fois très mystérieusement. Il erra le soir au clair de lune sous les fenêtres d’Éléonore pour étudier les abords de la place. Du dehors, on ne pouvait se douter de l’œuvre d’effroyable vengeance qui s’accomplissait là ; sur la rue, le bâtiment contenant la bibliothèque de Sigismond paraissait encore saîn et solide. Les victimes étant muettes, rien ne dénonçait au dehors la maison du crime. Joliffe et Bicharette ne savaient rien. M. Guillemard, toujours aussi mystérieusement, acquit au double de sa valeur la maison qui flanquait à gauche la bibliothèque Sigismond, et s’installa dans la nuit, après avoir, par excès de précaution, rasé complètement sa barbe et coiffé une perruque frisée sur sa calvitie. Joliffe, quand il le rencontra, ne le reconnut pas ; il pouvait défier les regards perçants d’Éléonore.

Il avait son plan. Pour commencer, comme il était mitoyen avec la bibliothèque, il entretint jour et nuit, malgré les chaleurs de l’été, un feu d’enfer dans toutes les cheminées appuyées au mur commun, pour combattre l’humidité. Les cheminées éclatèrent ; le mur, calciné par places, se fendilla ; trois fois pendant le premier mois les pompiers durent accourir éteindre des commencements d’incendie. Sur les observations du commissaire, Raoul Guillemard, qui se prétendit créole pour s’excuser, dut modérer ses feux.