Page:Uzanne - Contes pour les bibliophiles, 1895.djvu/7

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définitif qu’un Anglais disciple moderne de Sterne nommerait le Public pier de Publishing city, c’est à votre constance, à votre bienveillante amitié, à votre angélique patience que je le dois, car votre collaboration n’a pas connu d’obstacles ; elle fut alerte, prodigue, accélérée, miséricordieuse. En effet, tandis que, d’une allure de podagre, j’écrivais Le Bibliothécaire Van Der Bœcken, de Rotterdam ; les Romantiques inconnus, la Fin des livres, l’Enfer du chevalier Kérhany, Histoires de Momies et deux ou trois autres contes qui ne sont au demeurant que des souvenirs personnels narrés sur le mode égotique des haïssables historiens du moi moderne, vous terminiez le reste impétueusement avec une verve, un entrain, une modestie souriante qui épaississaient chaque jour davantage la cuirasse d’estime dont se revêt, avec tant de sincère conviction, ma batailleuse amitié pour vous.

Et quels plaisants dessins que les vôtres, mon brave Robida, lorsque d’une plume ou d’un crayon mordants, qui se ruent à l’assaut du papier virginal, vous pastiches ; à plaisir les Johannot, les Déveria, les Nanteuil, les Carle Vernet, les imagiers d’Épinal de l’Empire, les vignettistes allemands ou les petits-maîtres du dernier siècle ? Vous déroutez positivement, dans ces fresques hors texte du livre, le public de demi-connaisseurs, c’est-à-dire le grand public, car votre science imperturbable de la manière d’autrui et d’autrefois surprend vos nombreux admirateurs, qui vous tiennent peut-être rigueur de votre extrême sagacité comme on est déconcerté par un pince-sans-rire inquiétant.

Vous l’aviez déjà troublé, ce bon public, par vos voyages fantaisistes et vos itinéraires sérieux, par vos romans à panaches, par votre extravagant Vingtième siècle, par vos piquantes caricatures modernes, par tant de cordes vibrantes que vous avez su mettre en harmonie sur votre lyre universelle ; il est un peu en défiance vis-à-vis de vous, ce débonnaire public, car il n’apprécie et ne célèbre que les spécialistes, les hommes qui fournissent une note toujours répétée, les vendeurs d’un même cru, faciles à étiqueter et cataloguer dans sa mémoire ; les carillonneurs fidèles aux symphonies réitérées de leur métal idrosyncratique ; les autres, les talents multiformes et impétueux, qui, comme vous, brisent les cadres et les moules qu’on leur assigne et qui s’en vont, à leur fantaisie, errer sur le clavier des arts et des lettres, l’horripilent dans ses notions d’ordre, de méthode et de classification.

Avec vous, au moins, c’est toujours à recommencer ; vous