Page:Uzanne - Son altesse la femme.djvu/219

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-vous Richelieu recevant une pareille épître ? D’Alembert lui-même, habitué aux effluves psychiques de Mlle de l’Espinasse, n’eût point compris ce langage plein d’images, de lumière et d’horizons naturels, qui cependant, pour notre siècle imbu de romantisme, n’a rien en soi d’excessif ou de pédantesque.

Ce double courant de positivisme libertin et de spiritualisme éthéré rendait les femmes galantes délicieusement agréables, je vous assure ; il semblait qu’elles se fussent allaitées à deux mamelles de races opposées et que, dans le bouleversement général, leur esprit inquiet eût hésité entre un scepticisme railleur, tradition de la veille, et une foi poétique nouvelle, ardente et ensoleillée qui les reposait.

Cela donnait un piquant extrême à l’amour échangé, et la même maîtresse était souvent, tour à tour, aux heures d’abandon complet, mutine, espiègle, sombre, langoureuse, accablée, craintive, furieuse de luxure ou rêveusement engourdie dans un sentiment intime très réflexe et très exquis. Telles ces courtisanes qui affichent toutes les audaces, qui promettent tous les raffinements charnels, qui exposent, en égrenant leur rire, une insouciance heureuse et un mépris absolu des amours sincères, et qu’on retrouve dans le tête à tête, presque virginales d’âme, plus attendries qu’une amante novice, plus rêveuses qu’une Allemande, plus passionnées que les bacchantes antiques. C’est que, croyez-le bien, la