Page:Uzanne - Son altesse la femme.djvu/257

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souffrance et, retirant avec une brutalité voulue sa main de la mienne, parlant dans le vague, l’œil fixe comme une somnambule, elle répéta avec une énergie farouche : Non, non, non…, jamais ! jamais ! — Aussitôt elle s’arracha de mes étreintes et, sans que je pusse la maintenir, prit une course affolée et vertigineuse. Je vis son ombre disparaître sous les arcades. Fixé à ma place sans force et sans volonté, je ne songeai même pas à la poursuivre ; je demeurais béat ; la pensée de la situation singulière qui m’accablait n’était même plus présente à mon esprit malade et le jour me trouva immobile à la même place, abêti, défait, dans un étrange désordre, comme si j’eusse passé ma nuit dans la plus crapuleuse débauche au milieu d’une orgie échevelée.

« Je compris à mon réveil moral qu’on peut souffrir toute une vie de martyre en un jour, vieillir d’esprit et de corps, se dessécher le cœur entre l’aurore et le coucher du soleil. — Toi, mon cher René, dont l’âme est si noble, tu me comprendras, sans que j’insiste. Un événement si inattendu devait briser en moi tout ressort et me jeter comme une épave à la côte. Depuis ce fatal instant mon imagination mise en inquisition ne sait quelle histoire inventer pour donner satisfaction à ma passion de trouver le vrai dans ce profond mystère. Depuis huit jours et depuis huit nuits, je l’avoue, sans honte, sans trêve, sans dégoût même, je ne cesse de