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gea du tout au tout nos mœurs et jusqu’à nos familières habitudes.

Lamartine n’enseigna ni le dégoût de la vie, ni le suicide comme René et comme Werther. Il chanta les malheurs et les désespoirs de ce monde pour nous inspirer la foi. Les passions et les mœurs presque païennes de l’empire semblèrent être les passions et les mœurs d’un ancien peuple, dispersé sur la terre et puni par Dieu. Le règne de la force était fini, et l’on vit mourir dans des orgies, qui excitaient plutôt le dégoût que la curiosité, les derniers épicuriens.

M. Lamartine a mis à la mode la femme frêle, les organisations délicates, les fronts et les cœurs mélancoliques.

Les grandes révolutions ne se contiennent pas toujours dans les limites d’heureuses et utiles pensées, elles affrontent le rire, et sont souvent poussées jusqu’au ridicule. Le sentiment alla jusqu’à la sensiblerie : on ne mangea plus, on se mit à l’eau ; les femmes du bel air prétendirent ne plus se nourrir que de feuilles de roses. Elles créèrent cet usage, à table, de ne remplir et de ne parfumer leur verre qu’avec leurs gants, comme pour bien constater leur sobriété. Certaines gens pensèrent et dirent avec Philaminte des Femmes savantes :


Le corps, celle guenille, est-il d’une importance,
D’un prix à mériter seulement qu’on y pense ?
Et ne devons-nous pas laisser cela bien loin ?


Cette philosophie nouvelle, la passion des lettres, et surtout de la poésie, envahirent tous les salons. On fai-