Page:Véron - Mémoires d’un bourgeois de Paris, tome 1.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bout de huit jours, emportant les présents de noce et quatre-vingt-dix mille francs de bénéfice. On citait aussi un cafetier de Strasbourg qui, au bout d’un mois, était reparti -avec plus de deux cent mille francs de gain. On ne citait que les heureux ; la liste des ruinés eût été trop longue.

Chaque maison de jeu avait ses célébrités : on rencontrait souvent, au 129, un joueur de roulette qu’on avait surnommé Masséna ; il ne jouait qu’un quart d’heure, et, dans ce quart d’heure, ou il perdait deux ou trois mille francs, ou il en gagnait douze ou quinze mille.

Il est juste de dire que le joueur n’avait à craindre, dans les maisons de jeu publiques, aucune irrégularité, aucune surprise, aucune erreur ; la banque seule était exposée à payer deux fois, et n’était pas à l’abri de plus ou moins ingénieuses escroqueries.

Deux jeunes gens entrèrent un soir à Frascati : l’un mit à rouge cinquante louis, en doubles louis ; l’autre mit à noire la même monnaie et la même somme. La rouge gagna, et on paya cinquante louis à la masse de la rouge ; cette masse fut enlevée lestement. Un banquier prend la masse perdue de la noire ; mais il s’aperçoit bientôt que ces doubles louis n’étaient que des pièces de quarante sous, très-bien dorées. Celui qui avait gagné, s’était esquivé, l’autre fut arrêté. Il ne resta pas à bout d’arguments : « Je n’ai pas, dit-il, annoncé que je jouais cinquante louis : je ne vous donne pas de mauvaises monnaies, je perds même cent francs. C’était à vous d’y regarder de plus près avant de payer mon vis-à-vis. » On ne poussa pas plus loin l’affaire,