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Page:Va toujours.djvu/29

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couscous ou de mouton rôti pour le camarade d’Algérie, on a assez jeûné ensemble là-bas.

René s’était dressé heureux, il tendait les deux mains.

— Bonne surprise, Yves, soit le bienvenu, mais je n’ai pas la moindre grillade, ce sont les quatre temps d'automne.

Le nouveau venu, haussa les épaules :

— Une croûte et la joie de te retrouver !

— Qu’est-ce qui t’amène a Angers, ce n’est pas seulement pour me voir.

— Si. Et pour te demander un service, tu es mon camarade, tu as toujours été pour moi conseil et appui.

— Dispose de moi, je suis hélas ! bien seul ici.

— Ne t’attriste pas. Ce que je vais te demander prendra ta pensée et ton activité, deux choses qui remédient à tous les maux. Tes sardines et ton beurre sont excellents.

— Oui. Tu auras après une omelette et une salade, du fromage et des fruits. Goûte à mon vin d’Anjou.

— Très volontiers. Je suis affamé, j’ai voyagé dans le chemin de fer, songe donc, ça ne s’arrête pas comme on veut cette machine-là, de sorte que je n’ai rien avalé d’aujourd’hui. Ah ! comme ce vin blanc léger et pétillant, remplace bien le gros vin rouge d’Algérie.

— « Mange et bois, mais pense à Dieu » ainsi l’écrivent les Allemands sur leurs pots à bière. « Iss und drink, Got nicht Vergis ».

Azor grognait un peu, Minoula avait fui. Jeanneton restait debout, ses yeux roux fixés sur cet étranger qui avalait douze sardines, les trois quarts de l’omelette, des verres de vin pur et qui, à chaque instant, plongeait une main prenante dans la corbeille au pain. Il semblait vouloir vider le beurrier à force d’en extraire toute pleine la cuillère de buis.

René, en revanche, se servait à peine, sa physionomie s’était éclairée, elle avait un bon sourire, revoir un camarade de régiment était une fête pour l’ancien combattant.

— La dernière fois que nous nous sommes vus, c’était en 1835, à la prise de Constantine, j’étais capitaine, toi lieutenant, un beau fait d’armes, rappelait René. Le duc de Nemours luttait avec nous et le brave général Damrémont était tué d’un boulet en plein flanc. As-tu revu notre jeune amie, la fille du Cheik qui est devenue Sœur Constantine ?

— Oui. Elle est supérieure à l’orphelinat d’Alger. Mon ami, comme tout ce que tu m’offres est exquis.

— En comparaison des repas de sauterelles... ne te presse pas, rassasies-toi.

« Jeanneton apporte des confitures, continua-t-il en s’adressant à la servante, dis à Denise de faire beaucoup de café.