Page:Va toujours.djvu/40

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passait en lui des effluves joyeuses et, toute souriante, elle cria à Franchette du haut de l’escalier :

— Va ouvrir le portail, voici mon beau-frère, il prendra la collation avec moi.

L’instant d’après, René, chapeau bas, embrassait sa vieille amie qui s’exclamait :

— Qu’est-ce que vous m’apportez, vous êtes resplendissant ! Ma parole, vous voilà rajeuni de vingt ans.

— Encore plus, ma chère, je viens vous demander d’aller faire pour moi une sollicitation de mariage.

— Dieu vous bénisse, mon ami, j’en suis fort aise.

— Ne suis-je pas un peu fou... soixante ans passés.

— Fou ! allons donc, il n’est jamais trop tard pour bien faire. Il y a des jouvenceaux moins alertes que vous. Je devine aisément qui sera ma charmante belle-sœur. Vous ne pouviez mieux choisir. Toute notre famille lui fera bel accueil. Faut-il que je mette ma limousine de satin broché, mon chapeau à plumes blanches, et que je courre toute de suite en Reculée, au Frêne.

— Je n’osais pas vous en prier.

Elle haussa les épaules en riant :

— Pressons-nous, mon cher vieux, pour que je connaisse mes arrières-neveux. Je vais faire mettre mes juments à la calèche, ça en vaut la peine. Moine et Loire ne sont pas sorties hier. Par ce temps une promenade leur fera du bien. Je vous poserai chez vous en allant et vous attendrez mon retour le plus sagement possible. Je souperai chez vous pour parler d’elle. Il est bon de laisser s’ouvrir un coeur qui depuis si longtemps attend la liberté. Sonnez donc que je donne à Nicolas l’ordre d’atteler. Mon digne cocher n’est jamais pressé. En attendant je vais m’habiller.

Une heure plus tard, la calèche bleue à l’extérieur, gris à l’intérieur, les deux bêtes luisantes, garnies de harnais impeccables, Nicolas en chapeau haut de forme à rosette, la redingote bleue liserée de jaune, droit sur son siège, le fouet appuyé sur la cuisse, attendait devant le portail blanc, ouvert au large, que Monsieur et Madame Semtel fussent en voiture. La Maine piaffait, la Loire secouait la chainette de son mors.

Madame était resplendissante, elle avait fort grand air avec ses mitaines blanches bien tirées, rejoignant ses manchettes de dentelle ; sa broche de diamants fixée au-dessous du beau nœud de velours violet fermant les brides de son chapeau, sa robe ample, bouffante sur un jupon blanc, tuyauté, empesé, son écharpe de crèpe de Chine négligemment jetée sur ses épaules, le léger parfum de patchouli émanant de cette belle toilette. Elle tenait en main son mouchoir brodé